Une usine, par définition régie par des processus et une organisation stricts, peut-elle être agile ? Oui… à condition d’introduire l’agilité avec méthode, et pas à pas. Voici comment rendre l’industrie plus flexible, plus réactive… et donc plus compétitive, même dans le tissu des PME et ETI.
Dans son dernier article pour Arts & Métiers Magazine, Claire Jolimont, CEO et cofondatrice de Pingflow, explore un sujet clé pour l’industrie française : comment rendre les usines plus agiles pour faire face aux défis actuels ?
Mondialisation, compétition acharnée, demande fluctuante, difficultés de recrutement et approvisionnements… chaotiques : “incertain” est un bel euphémisme pour qualifier le contexte dans lequel évolue l’industrie française. Certes, les consommateurs (et les décideurs) se sont découvert un goût certain pour le “made in France”, mais pas à n’importe quel prix.
Nos usines, pour améliorer leur compétitivité, sont donc poussées à être toujours plus réactives, plus flexibles, bref pour utiliser un mot à la mode : plus “agiles”. Mais le modèle traditionnel d’une usine (basé sur le respect des processus, des structures hiérarchiques et d’une organisation très cadrée) est-il seulement compatible avec l’agilité -concept popularisé au début des années 2000 dans le secteur de la tech ? Il l’est.
L’agilité dans l’industrie n’est pas seulement possible, elle est indispensable, à la fois pour rester compétitif, mais aussi pour (re)devenir attractif sur le marché de l’emploi. Et pas seulement pour les grands groupes. Les PME et ETI, souvent freinées jusqu’à aujourd’hui dans leurs projets d’industrie 4.0 faute de solutions adaptées à leurs contraintes (de coûts, de maturité organisationnelle, d’infrastructure technologique existante, et de ressources humaines), disposent désormais de vraies opportunités. Comment ? Examinons cela de plus près.
Mais qu’est-ce qu’une usine agile ?
Une usine agile, c’est avant tout des résultats tangibles et chiffrés : des cycles de production plus courts (à niveau de qualité constant, voire en hausse), une réactivité optimale en cas d’incident, et donc une forte productivité. Mais ces résultats ne tombent pas du ciel, et ne sont jamais acquis. Quels sont donc les traits communs des unités de production qui atteignent (et pérennisent) ces excellents résultats ?
Ils sont au nombre de 4 :
- des équipes plus autonomes et engagées, aptes à prendre des décisions rapidement sans devoir attendre une validation de la hiérarchie
- une culture de la collaboration et de la transparence qui permet à l’information de circuler rapidement, et aux bonnes pratiques de faire tâche d’huile,
- des processus solides, clairs et partagés
- un “stack” d’outils de gestion de la production flexible et simple d’utilisation.
Le rôle des deux derniers ingrédients (process et solutions logicielles) ? Offrir aux opérateurs et à leurs managers le moyen de donner le meilleur d’eux-mêmes.
Une usine plus réactive avec l’Andon
L’Andon, c’est le sujet le plus simple à mettre en place pour un industriel, et il génère des résultats visibles quasi immédiats.
De quoi s’agit-il ? D’un dispositif d’alertes (visuelles généralement, sonores parfois), qui permet de signaler un problème dès qu’il survient sur les lignes de production. Il peut être déclenché manuellement (on parle alors d’Andon opérateur, d’Andon qualité s’il est dédié au signalement de non-conformités, d’Andon approvisionnement s’il s’agit de remonter un stock de pièces insuffisant) ou automatiquement (Andon machine en cas de dysfonctionnement, Andon flowboard lorsque la cadence est anormale).
Un système e-Andon permet aux industriels d’aller chercher 5, 10… et jusqu’à 20 points de TRS supplémentaires
Ce système d’alerte est couplé à un processus de réponse (appel au leader, à la maintenance, à la supply chain), d’escalade (appel au niveau supérieur en cas de non réponse), et souvent à un affichage sur grand écran dans l’atelier, afin que tous les opérateurs sachent si et où un incident se produit. Avec des routines d’intervention bien cadrées, un système d’alerte Andon permet de diviser par deux le temps de résolution d’incident, et donc de minimiser les arrêts de ligne : le gain de TRS (taux de rendement synthétique) observé chez nos clients dans ce type de projet atteint facilement les 5 points, et monte à 10, 15, voire 20 points de TRS supplémentaire pour les industriels qui poussent le dispositif le plus loin.
POUR ALLER PLUS LOIN > e-Andon : comment mettre en place un système d’alerte digitale dans mon usine ?
Une usine pilotée en temps réel avec le flowboard
En bon français, on parlerait de “tableau de suivi” ou “tableau de flux”. Le flowboard, permet d’apporter la réponse à des questions simples : où en sommes-nous à l’instant T de notre tableau de marche ? Pouvons-nous avoir une vision fiable de l’activité par secteur ? Allons-nous tenir les objectifs, et être capables de livrer les bonnes quantités dans les délais convenus ?
Questions simples… mais réponse souvent complexe. Le relevé d’activité à chaque poste, le calcul des cadences et des écarts par rapport au standard (le rythme “normal” de l’usine) et par rapport à l’objectif… Toutes ces données sont souvent soit éparpillées (dans différentes solutions lourdes, difficiles à personnaliser), soit inexistantes. Et rarement disponibles en temps réel. Un des premiers chantiers d’un industriel qui souhaite se doter d’un flowboard précis, ordre de fabrication par ordre de fabrication, est donc de bâtir un socle de données fiable et robuste.
Mais le jeu en vaut la chandelle : élimination des erreurs humaines dans la saisie et la transmission des informations, gain de temps considérable pour les leaders d’atelier (plus d’une heure par jour, par exemple, pour l’un de nos clients dans l’aéronautique), optimisation continue des cadences : le flowboard digital est un fantastique accélérateur des opérations de production.
Le flowboard digital : un accélérateur de productivité dans les usines
Des équipes alignées, autonomes et proactives avec les AIC
Tous les industriels cherchent à disposer d’équipes plus autonomes, et plus polyvalentes. Les AIC (animations à intervalle court), autre pilier incontournable du lean manufacturing, apportent une réponse à cet enjeu. Courtes (de 5 minutes pour une AIC “terrain” à 30 minutes pour une AIC au niveau de la direction du site), orientées “action” et calée sur le rythme de production de l’usine, les AIC permettent de partager les objectifs du shift, de partager les indicateurs SQCDP (Sécurité, Qualité, Coût, Délai, Personnel), et de mettre les équipes en action. On y fait le point sur ces indicateurs, et sur la façon de les améliorer lors du prochain intervalle de production.
Les bénéfices des AIC sont moins évidents à chiffrer que pour l’Andon, mais ils ne sont pas moins tangibles : mise en place d’une vraie culture du partage de l’information et de la collaboration, motivation et autonomie des opérateurs en hausse, plans d’action plus efficaces, car ils sont ébauchés et pris en main par les premiers concernés… Pour citer l’un de nos clients, adepte convaincu de ces rituels :
Les réunions sont consacrées à ce qui s’est passé la veille, ce que l’on aurait pu ou dû faire, les AIC se focalisent sur les problèmes actuels, et sur la manière dont on s’engage à les résoudre.
EN SAVOIR PLUS > L’animation à intervalles courts (AIC) : définition, fonctionnement, facteurs clés de succès
La data et la connectivité : un pré-requis pour l’usine agile
Andon, AIC, flowboard… Pour que ces 3 piliers de l’industrie agile fonctionnement, il faut que l’usine ait la main sur un quatrième ingrédient : la data. C’est à cette condition qu’elle observe de vrais gains de temps dans la saisie des informations, qu’elle peut enclencher des processus d’amélioration continue basés sur un historique réel (et fiable), et standardiser les rituels d’animation, de résolution de problèmes…
Qu’elles proviennent des machines, des applicatifs “métiers” (ERP, WMS), ou qu’elles soient entrées manuellement par les opérateurs et les managers, ces données doivent absolument être :
- “captables” : un état machine ou un signalement d’incident qui ne remonte pas dans les systèmes d’informations est inutile,
- comparables : par rapport à un standard ou un objectif,
- retraitables : sous forme d’indicateurs visuels, de rapports, de graphiques… simples et rapides à interpréter par les acteurs de la chaîne de production, en particulier lorsqu’ils sont en poste.
Les industriels ne manquent pas de données, mais de solutions pour les rendre accessibles, exploitables et actionnables par leurs équipes, en particulier sur le terrain des opérations.
La plupart du temps, les industriels disposent déjà de sources de données. Elles sont certes disparates, et demandent parfois un peu de travail pour être exploitées. Désormais, ce n’est donc pas obtenir des datas qui représente un challenge, mais plutôt de les mettre à disposition de ceux qui en ont besoin au sein de vos équipes. Et de le faire dans des applications conçues pour (et idéalement avec) les équipes en question. Utopique ? Plus avec la nouvelle génération d’outils no-code, qui rendent la conception de solutions logicielles (jusqu’à un certain degré de complexité) accessibles à tous.
Passer en mode agile : mode d’emploi
Alors, par où commencer, pour introduire de l’agilité dans le management d’une usine ? Le processus est complexe, et doit être mené pas à pas :
- d’abord identifier les freins (résistance au changement, manque de compétences, absence de données fiables sur l’activité)
- définir un périmètre clair pour un premier projet qui tiendra lieu de proof of concept (déployer l’andon sur une ligne de production généraliser les AIC au niveau opérateurs dans un atelier…)
- déployer ensuite le projet (même en mode “dégradé”)
- enfin faire un premier bilan : qu’est-ce qui fonctionne bien ? Que faut-il améliorer ? Qu’est-ce qui, à la réflexion, relève du “gadget” ? Et sous quelles conditions allons-nous pouvoir passer à l’échelle ?
POUR ALLER PLUS LOIN > 6 étapes pour mettre en place le management visuel digital dans votre équipe
Cette première phase de test en conditions réelles est cruciale, à la fois pour se forger des convictions sur le retour sur investissement du projet, mais aussi pour embarquer les équipes sans les braquer par un changement trop brutal. Cette conduite du changement à petite échelle présente en plus l’avantage de faciliter l’implication des collaborateurs concernés : ainsi l’agilité n’est plus imposée “d’en haut”, mais bien impulsée par les équipes… qui deviendront les premiers ambassadeurs des futurs projets 4.0 qui ne manqueront pas de suivre. Car si elle ne se décrète pas, l’agilité fait tâche d’huile !
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